
La cité d’émeraude
Après de longues heures de marche, nous nous trouvions enfin devant Fylaeis. Deux portes immenses en protégeaient l’accès. Sans notre guide, nous ne les aurions jamais remarquées. Scellées depuis des siècles, elles étaient recouvertes de végétation les rendant totalement invisibles.
J’avais l’étrange impression que quelqu’un m’appelait à l’intérieur de la cité. Je tendis la main pour saisir l’imposante poignée en forme de tête de lion. Les végétaux se retirèrent peu à peu, et avant que mes doigts ne les atteignent, les portes s’ouvrirent dans un bruit étrange. Un vent frais chargé d’humidité s’échappa de la cité, et je m’attendais presque à voir une nuée de chauves-souris en sortir.
Sans attendre, le feu follet passa devant moi et reprit sa course folle en direction de Fylaeis. Un immense escalier descendait dans les profondeurs de Gallja. D’étranges créatures en pierre gardaient l’entrée. Elles paraissaient si réelles. J’avais l’impression qu’elles me suivaient du regard et tentaient de me dissuader de m’aventurer plus loin. Le feu follet avait disparu, nous laissant dans une pénombre angoissante.
– Tinúviel… Tinúviel… Entre Tinúviel…
– Qui est là ?
– Rejoins nous Tinúviel…
– Qui êtes-vous ? demandai-je, angoissée.
– À qui parles-tu Sarah ? me demanda Spinner, surpris. Il n’y a personne ici.
– Vous n’avez pas entendu ? Quelqu’un m’a appelé.
– Non, je n’ai rien entendu. Méfions-nous. Nous ne savons pas ce que cette cité abrite aujourd’hui. Gallja est encore en plein sommeil, une puissance peut très bien s’y cacher et rester invisible à ses yeux.
– Vous m’avez toujours dit de me fier à mon instinct, et c’est ce que je fais. Je sens que nous n’avons rien à craindre, nous pouvons descendre ces escaliers sans risque.
– Très bien. Nous te suivons Sarah, finit par dire Al.
Je fis le premier pas vers la cité, prenant soin de ne pas glisser sur les marches mouillées. Je sentis alors quelque chose saisir ma cheville. À ma grande surprise, je vis deux grands yeux ronds briller dans le noir.
– Bonjour toi. D’où viens-tu ?
Je tendis la main pour caresser la petite bête qui s’enroula autour de mon bras.
– C’est un Grimeron, m’expliqua Spinner. Son corps est aussi souple que celui d’un serpent et est recouvert d’une fourrure d’une douceur incroyable. Son museau ressemble beaucoup à celui d’un petit chat. J’étais loin d’imaginer que certains d’entre eux avaient survécu à l’Obscurité. On dit que lorsqu’un Grimeron t’adopte, tu ne peux plus t’en séparer. Ce sont les créatures les plus fidèles qu’il existe.
– Je vais t’appeler Sindar. Cela te convient ?
En guise de réponse, Sindar me lécha la joue et sauta de mon épaule. Il me regarda fixement avant de prendre la direction de la cité. J’eus l’impression qu’il voulait que je le suive.
Après de longues minutes de descente, nous nous trouvions enfin au centre de Fylaeis. Étrangement, l’ambiance qui régnait dans ces lieux était féerique. Une rivière courait au pied de la cité de laquelle émanait une douce musique. Une lumière verte provenant du fond de l’eau faisait scintiller chacun des cristaux incrustés dans les ruines. Les monuments, bien qu’abimés, avaient gardé leur splendeur d’autrefois. Ils se dressaient fièrement devant nous, exposant leurs vitraux aux mille couleurs et leurs sculptures somptueuses. Fylaeis semblait avoir été épargnée par ces années de guerres et d’obscurité.
– La cité d’émeraude… souffla Spinner. Toujours aussi belle, même des siècles plus tard…
– Je sens une présence, me dit Raphaël. Toujours confiante ?
– Oui… lui répondis–je, je sens également quelque chose… mais ce n’est pas une seule présence, plutôt des centaines… C’est très étrange.
Je cherchai Sindar des yeux, il semblait avoir disparu dans l’immensité de la cité. Soudain, je les aperçus. Une multitude de petits yeux noirs et brillants nous observaient. Les Grimerons qui peuplaient la forêt avaient trouvé refuge dans les ruines de Fylaeis.
– Bienvenue Tinúviel ….
La voix était grave et profonde, telle des milliers de murmures… mais très différente de celle de Gallja… emplie d’une force et d’une froideur effrayantes. Et pourtant, je ne ressentais aucune peur. J’étais sereine.
Sortant de la pénombre, j’aperçu une créature majestueuse et fière. Sa crinière dorée semblait être animée par le même feu qui dansait dans ses grands yeux couleur ambre. De son mufle sortait une fumée blanche et légère. Ses deux pattes avant étaient couvertes d’écailles cuivrées et se terminaient par trois imposantes griffes couleur ivoire. Dans son dos, de grandes ailes semblables à celles d’un dragon étaient déployées.
– Magnifique… soufflai-je.
J’étais sous le charme. Je m’apprêtai à tendre la main pour le toucher, mais fus retenue par Raphaël.
– Non ! cria Spinner. Ne t’en approche pas Sarah. Cette créature est dangereuse. Il s’agit d’un Manticore, un monstre légendaire que je croyais éteint depuis des millénaires.
– Vous n’avez rien à craindre de moi… siffla le Manticore. Je suis moi aussi un enfant de Gallja. Endormi et oublié des Galljaelis, je suis revenu pour la protéger et vous aider.
Il s’approcha lentement de moi. Tel un félin, sa musculature imposante roulait à chacun de ses pas. Je ne pus m’empêcher d’admirer cette splendide créature, mi-lion mi-dragon.
– Je me présente, je suis Altaïr.
Il baissa la tête, comme s’il m’adressait une révérence. Je fis de même, en bredouillant ces quelques mots :
– Enchantée… je suis Sar… euh… Tinúviel.
– Je sais qui tu es Tinúviel. Nous t’attendions depuis si longtemps.
– Nous ?
– Gallja et son armée. Elle se sent en danger et nous appelle un par un… nous les monstres légendaires comme nous appelle ce prétendu gardien, siffla Altaïr en montrant Spinner d’un coup de tête. Nombreux d’entre nous ont été détruits par l’Obscurité avant notre réveil. Je les ai senti mourir…
– Son armée ?
– Oui, nous sommes les Protecteurs de Gallja. Cela fait bien longtemps que nous nous sommes endormis… notre dernier éveil a été long et périlleux… Gallja a mis plusieurs siècles à se reconstruire afin de pouvoir accueillir de nouveau la vie à sa surface… mais votre civilisation était prometteuse…
– Que voulez-vous dire ? demanda Spinner.
– Petit être arrogant… grogna Altaïr. Vous pensiez sincèrement être les premiers sur Gallja ? Oh non… vous êtes la quinzième génération de civilisation si mes souvenirs sont corrects.
– Quoi ? Mais pourquoi n’en avons-nous jamais trouvé aucune trace ?
– Parce qu’à chaque fois il n’en reste rien… Les guerres, la famine, les maladies, ou les catastrophes naturelles. L’issue est toujours la même : les civilisations disparaissent, affaiblissant Gallja jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Et tel un Phoenix, elle renait toujours de ses cendres. Nous la protégeons lors de chacune de ses naissances, lorsqu’elle est vulnérable…
– Vraiment ? Et vous n’intervenez jamais avant ?
– Non, nous ne sommes que des témoins. Nous ne devons pas interagir avec les Galljaelis.
– Mais aujourd’hui, c’est différent… continuai-je.
– Oui. L’Obscurité est un fléau que nous devons combattre avant qu’elle n’anéantisse Gallja… Nous nous battrons à tes côtés, Tinúviel… sous tes ordres.
Il s’inclina de nouveau, comme pour appuyer ses dernières paroles.
– Sous mes ordres ? Mais pourquoi ? Je ne suis qu’une enfant !
– Habituellement, nous ne répondons à aucun mortel… ni aucun immortel d’ailleurs. Nous sommes liés à Gallja, et étrangement ce qui l’affecte actuellement nous atteints également. L’Obscurité se nourrit de nous et nous affaiblit chaque jour un peu plus.
Il marqua une pause. Il me regardait intensément, je sentis son regard me traverser comme s’il cherchait des réponses.
– Ton aura est magnifique. Mais je peux sentir l’Obscurité qui coule dans tes veines… pourtant ton cœur semble si pur… C’est très étrange.
– Si vous pouvez sentir l’Obscurité en moi, c’est parce que je m’en suis nourri. A plusieurs reprises…
– Tu as pu t’en nourrir, et ce, sans basculer… Je ne savais pas cela possible. Comment as-tu fait ?
– Je l’ai juste acceptée. Je ne saurai l’expliquer, cela paraissait être la seule chose à faire…
– Il y a des mystères que nous ne pourrons jamais comprendre ! C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de la chose… et te rend toi si exceptionnelle. Je comprends pourquoi Gallja te fait confiance. Je vais vous guider, toi et tes compagnons, à l’océan. Mais avant vous devez vous reposer et vous nourrir. Vous semblez tous à bout de force.
Il poussa alors un rugissement puissant qui fit vibrer toute la cité. Une multitude de papillons s’envolèrent et des milliers de créatures apparurent… des Grimerons… des fantômes… et des sirènes sortaient timidement du cours d’eau. Magnifique !
Un fantôme se rapprocha de nous et fit la révérence à Spinner.
– Bougre ! Aucune politesse ! pesta le fantôme.
– Ce n’est pas sa faute, il ne peut pas vous voir, intervins-je avant que celui-ci ne traverse Spinner par colère.
– Il ne peut me voir ? Et vous vous le pouvez ? Pourquoi ?
– Un don, parait-il…
Je fis alors à mon tour la révérence avant de me présenter.
– Bonjour, je suis Tinúviel, mais mes amis m’appellent Sarah.
– Enchanté Sarah. Je me présente, Ydilias. Je suis le chef de cette splendide cité.
– Enchantée Ydilias.
Ydilias se mit à pouffer de rire, et je compris pourquoi en me retournant. Mes compagnons se tenaient derrière moi et ne semblaient pas comprendre à qui je m’adressais. Je ne pus m’empêcher de sourire en les voyant ainsi.
– Je parle au chef de la cité, Ydilias, mais vous ne pouvez pas le voir semble-t-il…
– Nous avions tous compris cela Sarah, me répondit mon père. Ce qui nous étonne surtout, c’est la langue que tu utilises. Il s’agit d’un dialecte très ancien de Gallja… Comment se fait-il que tu le connaisses ?
– Le transfert de Fëanturi sans doute.
Ydilias toussota derrière moi, comme pour attirer mon attention.
– Si vous le voulez bien, je vais vous faire une visite de notre cité et vous montrer vos appartements. Vous pourrez vous faire une toilette et y dormir. Pour la nourriture, nous pouvons vous proposer des racines et de l’eau… Peut-être que ma femme pourra vous faire une soupe avec les herbes qui lui reste dans sa cuisine.
– Ne vous embêtez pas nous avons encore de quoi nous nourrir. Merci beaucoup.
– Très bien. Comme vous voudrez, me répondit–il d’un air presque vexé.
Il se retourna et prit rapidement la direction d’une bâtisse immense qui semblait sortir de la paroi rocheuse. J’eu à peine le temps de dire aux autres de me suivre, qu’il avait déjà presque disparu. Je dus accélérer le pas pour ne pas le perdre dans ce dédale de pierre.
Malgré les toiles d’araignées et la poussière, on pouvait encore apprécier la beauté des lieux. Les murs étaient recouverts de tableaux représentant des paysages somptueux, des portraits de personnages importants… Je ne pus m’empêcher de m’arrêter devant l’une des toiles, hypnotisée par la magie qu’elle dégageait. La cité semblait vivante. Les feuilles multicolores et l’herbe fraiche dansaient au rythme d’un vent doux. L’eau de la rivière courrait le long de la paroi rocheuse, reflétant les rayons d’un soleil chaud. De jeunes enfants jouaient avec de grands papillons dorés. J’eus l’étrange impression de les entendre rire.
– Notre belle cité… avant que l’Obscurité ne nous envahisse…
Ydilias avait passé la tête à travers le mur sur lequel était accroché le tableau, me faisant sursauter.
– Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur…
Il se positionna à côté de moi, les yeux emplis d’un profond désespoir. Il resta immobile durant plusieurs secondes, perdu dans ses souvenirs. Par respect, je ne dis rien, je me contentai de l’observer. Il était mort jeune, mais la fatigue et la tristesse pouvaient se lire sur son visage. Une marque étrange sur son cou attira mon attention… une ligne parfaite reliant les deux oreilles. Avait-il été égorgé ? Pourquoi ? Où sont les corps de tous les habitants ? Tant de questions se bousculaient dans ma tête, mais je restais comme muette.
Ydilias brisa enfin ce silence oppressant.
– J’essaie de ne plus me laisser distraire par ces images du passé… trop de nostalgie, de tristesse… aujourd’hui, nous sommes condamnés à rester ici, sur cette planète obscure, privés de magie… et … de vie, dit-il un sanglot dans la voix.
Il se retourna, comme pour me cacher ses larmes, et me fit signe de le suivre. Le silence se réinstalla, seul le bruit des pas de Al était perceptible. Mes compagnons… je les avais oubliés…
– Voici vos appartements. Je vous laisse vous installer. J’enverrai quelqu’un vous chercher dans une heure si cela vous convient.
Il ne me laissa pas le temps de répondre et disparu d’un claquement de doigt.
Quelle existence terrible… ils semblent prisonniers de leur cité, mais pourquoi ? qu’ont-ils fait pour mériter un tel châtiment ? et cette marque sur le cou de Ydilias. Serait-ce la cause de sa mort ?
Sarah ? Sarah, tout va bien ?
Oui, excusez-moi Spinner. J’étais perdue dans mes pensées…
En réalité, tu l’étais dans les nôtres… et c’est une sensation très étrange, voire désagréable…
Comment ça ?
Je ne dois pas me tromper si je te dis que nous avons tous entendu tes pensées… elles sont si chaotiques…
Tous acquiescèrent de la tête.
Je suis désolée. Je suis très fatiguée, et j’ai du mal à contrôler mes pouvoirs…
– Tu penses sincèrement que les différents peuples de cette cité sont prisonniers ici ? continua Spinner à voix haute.
– Oui, la porte semblait scellée. Et le cours d’eau n’est qu’un circuit fermé autour de la cité… Je peux le sentir. Je pense que Gallja a, sans le vouloir, transformé cette merveilleuse cité en un tombeau…
– Cruel destin… conclut Zack.
– Et tu ne sens aucun danger Sarah ? me demanda mon père. Aucun mauvais pressentiment ?
– Non. Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Je ne me sens pas à l’aise. Quelque chose ne va pas. Peut-être est-ce dû à la présence de fantômes que je suis incapable de percevoir. Si effectivement, ils sont prisonniers ici depuis plusieurs siècles, leur énergie peut nous perturber.
– Je dois t’avouer que je ne me sens pas très à l’aise moi non plus. Et rien n’avoir avec le fait que je sois, pour une fois, d’accord avec Siseal. J’ai l’impression étrange d’être épié… l’ambiance en ces lieux est pesante voire angoissante… enchérit Raphaël.
– Je comprends ce que vous ressentez, et je pense également que vous êtes sensibles à la souffrance et la tristesse des différents peuples prisonniers ici.
– Que t’a dit le chef, Ydilias, c’est ça ? me demanda Zack. T’a-t-il expliqué leur présence ?
– Pas grand-chose malheureusement. Je pense l’avoir vexé en refusant leur nourriture.
– Ils ont encore de la nourriture ici ? demanda Spinner, perplexe.
– Oui, il leur reste quelques épices en cuisine, et il me proposait de faire une soupe avec…
– Je comprends que tu es refusé… me dit Spinner en souriant, mais la politesse dans ces lieux veut que tout hôte reçoive ses invités, attendus ou non, avec un bon repas et un couchage. Et tout voyageur a le devoir de les accepter.
– Je ne le savais pas…
– Espérons qu’il ne t’en tienne pas rigueur, dit mon père. Voilà des siècles qu’ils n’ont vu personne, et tu n’es pas de cette planète, tu n’es pas censée connaitre leurs coutumes.
– Espérons… soupirais-je.
Lasse, je m’assis sur l’un des fauteuils qui se trouvait au centre de la pièce dans laquelle nous nous trouvions. Il s’agissait d’un vaste hall s’ouvrant sur six chambres. Les vitraux coloraient chaque rayon de lumière, créant une ambiance lumineuse magique. Le sol était recouvert de nombreux tapis aux tons vert et turquoise, apportant chaleur et douceur à cette vaste pièce. Les murs de pierres blanches étaient ornés de somptueux tableaux, d’une réalité surprenante. On pouvait y voir différents paysages, de vastes étendues d’eau ou des forêts flamboyantes, diverses représentations de Fylaeis…
– C’est étrange…
– De quoi ? me demanda Raphaël.
– Les tableaux semblent être animés… lui répondis-je, les yeux perdus dans l’immensité azur qui s’écoulait devant moi.
– C’est vrai, ils le sont. Il s’agit d’une ancienne technique de peinture. Les peintres ne se contentaient pas de donner quelques coups de pinceaux… je ne sais par quel procédé, ils enfermaient une partie de leur magie dans chacune de leur toile leur donnant ainsi vie.
– Incroyable… soufflais-je.
– Seuls les plus talentueux en étaient capables, intervint Spinner. J’ai eu la chance de pouvoir assister à la création d’une telle œuvre. C’était un véritable spectacle… L’artiste faisait corps avec sa toile et ses instruments…
Les yeux embués, Spinner était de nouveau perdu dans ses souvenirs. Revenir sur Gallja et découvrir les atrocités qu’ont subies les différents peuples le remuait beaucoup. Son visage et ses yeux trahissaient sa culpabilité… coupable d’avoir réussi à se sauver… d’avoir vécu si longtemps loin des siens… et pourtant, s’il n’avait pas survécu et traversé la faille je ne serai pas là aujourd’hui.
Je lui saisis la main et la serrai fort. Il se retourna et me regarda dans les yeux. Un sourire se dessina sur ses lèvres et il m’embrassa le front.
Merci Sarah. Tu devrais aller te reposer… Tout ira bien pour moi.
Comme vous voudrez. Je ne serai pas loin si vous avez besoin Spinner.
Il serait temps que tu me tutoies et tu m’appelles grand-père non ?
Je vous… te … promet d’essayer.
Je l’embrassai sur la joue et pris la direction de l’une des chambres.
– Messieurs, je vais me reposer, lançai–je en direction de mes compagnons. N’en profitez pas pour faire des bêtises ! nos hôtes reviennent nous chercher dans une petite heure…
– Tu nous connais ! me répondit Zack en riant. Repose-toi bien et pas de feu, explosion ou autre démonstration de pouvoir qui pourrait abimer les lieux s’il te plait !
– Je suis tellement fatiguée que je serais bien incapable de produire la moindre étincelle !
– Tu m’en vois rassuré !
Je ne pus m’empêcher d’exploser de rire. Après toutes ces horreurs que nous venions de traverser, ces quelques moments étaient tellement agréables.
La chambre était magnifique… très différente de celle de Furilis… de forme circulaire. Les murs et le sol étaient lisses et d’un blanc pur. Un escalier permettait de rejoindre un grand lit, fait d’une centaine de coussins en velours turquoise, et entouré par des colonnes de pierres vertes. Des braseros en or, posés sur chacune des marches, créaient une ambiance chaleureuse et cosy.
Je peux me joindre à vous jolie demoiselle ?
J’espérais que tu le proposes…
Je sentis l’aura de Raphaël me caresser le dos, et un frisson me parcourut le corps.
***
Un grondement terrible provenant des profondeurs de Gallja nous réveilla en sursaut. Une plainte sourde et intense, tel un râle de douleur d’un animal blessé. Il se passait quelque chose de grave.
Nous devons retrouver les autres rapidement. Il y a un problème.
Je suis d’accord ma belle. Tu peux les contacter et leur dire de nous rejoindre dehors. Nous devons évacuer au plus vite ce bâtiment.
Je lui fis signe que je m’en occupais pendant qu’il rassemblait nos affaires. En quelques secondes nous étions tous dehors devant l’entrée du bâtiment.
À peine avions nous franchis la porte, qu’un tremblement d’une violence incroyable secoua la cité. Des vitraux explosèrent projetant des milliers de morceaux de verre coloré. Des bâtisses s’effondrèrent dispersant une poussière blanche et épaisse dans les airs. La rivière sortit de son lit et vint lécher les pavés des rues encombrées de créatures.
En m’apercevant, Sindar me sauta dessus et se lova autour de mon cou. Son petit cœur battait à une telle vitesse. La panique qui régnait dehors était terrible. Des centaines de fantômes virevoltaient dans tous les sens en hurlant de douleur. D’autres traversaient les décombres en pleurant. Les grimerons, apeurés, envahirent les rues à la recherche d’un abri. Plusieurs sirènes s’étaient échouées sur les bords du cours d’eau. Tout s’était passé si vite. La cité, si belle malgré des siècles de guerre et d’obscurité, avait pris des allures de champ de bataille en quelques secondes.
Mes amis s’étaient déjà dispersés pour évacuer les habitants pris au piège dans les décombres. Je m’apprêtai moi-même à aider les sirènes à retourner dans l’eau lorsque je les vis se redresser et déployer de magnifiques ailes recouvertes d’écailles que la lumière faisait briller de mille feux. Elles prirent leur envol, majestueusement, pour aller porter secours aux créatures submergées par les vagues.
J’aperçus alors Altaïr près d’une grande tour, qui, par je ne sais quel miracle, avait résisté et ne s’était pas effondrée. Il tentait de sortir plusieurs grimerons des débris d’un vieux moulin. Je courus vers lui, mais fus projetée en arrière par une sorte de geyser. Un liquide noir et épais, tel du pétrole, jaillit du sol et des parois rocheuses, inondant les rues. Accroupie, les mains au sol, je sentis une onde de choc… une nouvelle secousse.
– Altaïr attention… criai-je.
Trop tard, la cité tremblait à nouveau et la tour, cette fois-ci, s’effondra. J’eus à peine le temps de réagir, provoquant une décharge d’énergie cinétique en direction du groupe de créatures au sol. La tour fut projetée en arrière épargnant de nombreuses vies.
La secousse terminée, je me précipitai vers Altaïr afin de m’assurer qu’il n’était pas blessé. A travers le brouillard de poussière, il m’était difficile d’avancer. Je vis alors de faibles flammes danser sur le sol.
– Altaïr … criai-je.
Il était allongé sur le flanc, la tête en sang. Un gros bloc de pierre l’avait percuté, mais la coupure semblait superficielle. Je déchirais ma veste pour penser sa plaie et arrêter le saignement. Le feu de sa crinière me léchait les bras, mais ne me brulait pas, comme s’il s’agit de mon propre pouvoir.
– Merci Tinúviel… me dit-il en se redressant. Merci infiniment pour ton aide… Je m’affaiblis d’heure en heure. Gallja souffre, je peux le sentir. J’ai la sensation étrange que l’on me vole mes pouvoirs…
– Que puis-je faire pour vous aider Altaïr ?
– Pour moi, tu ne peux plus rien. Mais tu peux encore aider Gallja. Le temps presse. Il faut que tu trouves Aegnor et que tu l’arrêtes. Il ne faut pas que Gallja s’éteigne…
– Comment ? Je suis à bout de force… ma magie est épuisée… Je…
Bois mon sang mon enfant…
Gallja ?
Bois ce liquide noir qui jaillit à travers toute la cité. Il n’est autre que mon sang. Je me meurs… Aegnor et l’obscurité sont de plus en plus forts… J’ai peur de ne pas être capable de résister encore longtemps. Je le sens. Aegnor semble partout et pourtant, il est toujours à Aliaeilis. Je l’entends… il chante des incantations dans une langue étrange… je pense qu’il cherche à ouvrir de nouvelles failles pour que d’autres monstres viennent nous envahir… Bois mon sang et arrête Aegnor… Aide nous… je t’en supplie…
Je vous le promets…
Il y avait une telle souffrance dans sa voix. Des larmes coulèrent le long de mes joues, et plusieurs émotions commençaient à grandir en moi… une rage intense… une douleur insupportable… une peur terrible… et une incertitude déstabilisante. Les contrôler devenait de plus en plus difficile, mais je devais tenir ma promesse… je devais aider Gallja et tous ses habitants.
Sans prendre le temps d’avertir mes amis, je m’approchai d’une source de sang, et bus. Quel goût atroce ! Je sentais le liquide me brûler la gorge… et l’obscurité envahir tout mon corps. Mais je ne pouvais pas arrêter maintenant, je devais continuer à me nourrir. Je le devais pour récupérer mes forces.
Je fus prise de vertige… tant de pouvoirs… le sang de Gallja était un véritable concentré de magie. Mes jambes tremblaient. Tout se mit à tourner autour de moi. Je me sentis tomber et entendis au loin des cris… Al… Raphaël… Zack… Spinner… Papa…
Je suis désolée… Je ne suis pas assez forte…