
L’envers du décor
Nouvel exercice de la masterclass : se rendre dans les coulisses d’un endroit en lien avec votre univers et en donner une description factuelle. J’ai choisi l’une de mes nouvelles pour cet exercice L’étrange alliance.
Voici le résultat :
Amatrice d’exploration urbaine, je suis toujours à la recherche de lieux interdits, chargés d’histoire et de mystères. Cette fois-ci, mes recherches m’ont amenée au cœur de cette villa victorienne abandonnée. Un véritable bijou d’architecture emprisonné dans un écrin de ronces et de lierre.
Cela m’est inconcevable que l’on puisse abandonner une telle demeure. Elle a perdu de ses couleurs, le bardage de bois est noirci par les intempéries et la pollution, mais malgré tout, elle a gardé son charme d’autrefois. Haute de ses trois étages, elle surplombe dignement le village et semble vouloir que l’on découvre ses secrets. Une tourelle hexagonale à la toiture désossée se dresse fièrement au-dessus du porche rongé par le temps. Sa façade ternie est percée de nombreuses et grandes fenêtres. Certaines des vitres ont été remplacées par de simples planches de bois brut, quant aux autres elles sont opaques… couvertes de plusieurs années de poussière. Aucun regard indiscret ne peut pénétrer les lieux.
Mon premier réflexe est de faire le tour pour trouver une autre entrée que celle qui donne sur la grande rue. Je préfère rester discrète. Une grille en fer forgé noire et tachée de rouille entoure la propriété. Haute de deux mètres, elle est rehaussée de pointes, dissuadant les plus curieux. Après plusieurs longues minutes, je me trouve de nouveau dans la rue face au portail, sous la lumière blafarde des lampadaires. Étrangement, il n’est pas fermé. Je le pousse délicatement espérant qu’il ne fasse aucun bruit, mais en vain. Une plainte métallique retentit dans la nuit. Je me fige alors, à l’affut du moindre murmure… mais aucun bruit, pas même les oiseaux, ne vient perturber l’atmosphère pesante des lieux.
J’avance prudemment le long de l’allée encombrée de mauvaises herbes et de ronces au rythme des battements de mon cœur. J’atteins, non sans peine, les quelques marches qui mènent au porche d’entrée. J’hésite… les planches sont abimées et craquent lorsque je pose un pied dessus. Une fois de plus, le bruit révèle ma présence à cette demeure peuplée de silence.
Je m’apprête à faire demi-tour lorsque j’entends des murmures provenant de l’intérieur. Les récents événements ont, visiblement, poussé quelque courageux à venir explorer les lieux. Depuis plusieurs semaines, des cris étranges percent le calme des nuits, les animaux des alentours attaquent sans raison apparente leur maitre. La nature perd de son éclat, les plantes fânent, les oiseaux viennent s’écraser sur les fenêtres… Ma curiosité m’a poussé ici pour comprendre, mais ma raison me crie de faire demi-tour au plus vite.
Je respire profondément et entre. La porte donne sur une grande pièce sombre. Je suis immédiatement saisie par cette odeur terrible d’humidité, de terre et de moisis. Le papier peint se décolle laissant à vif les murs abimés et tagués d’étranges symboles. De nombreuses toiles d’araignée tombent de ce plafond couvert de tâches… sans doute un dégât des eaux à l’étage. Le sol est recouvert d’une épaisse couche de poussière et de nombreuses feuilles mortes jonchent les lattes de parquet vermoulues. Les quelques meubles encore présents ont été recouverts d’un drap, autrefois blanc. Seul un vieux canapé élimé est visible sous l’une des grandes fenêtres condamnées. Aucun des rayons de la lune ne semblent pouvoir pénétrer les lieux, mais une lumière douce et vacillante éclaire la pièce : quelques-unes des vielles bougies noires déposées sur le sol et le manteau d’une majestueuse cheminée ont été allumées.
J’avance doucement, et je trébuche sur un jouet d’enfant… une poupée qui semble avoir subi un terrible traitement : ses cheveux ont été coupés, les yeux arrachés et des traces de brulures sont visibles sur ce qu’il reste de son visage.
Deux silhouettes se forment dans la pièce d’à côté. Deux hommes, d’une beauté irréelle. Le premier est grand et athlétique. Il porte un tee-shirt noir prêt du corps, et un jean délavé et déchiré aux genoux, le tout recouvert d’une longue veste de cuir noir. Ses cheveux, mi-long, d’un blanc scintillant entourent parfaitement son visage anguleux et mettent en valeur son regard sombre. Le second, grand et large d’épaules, quant à lui a la posture et la tenue d’un militaire : tee-shirt et pantalon treillis noirs. Il se tient droit, bandant chacun de ses muscles, les bras croisés derrière le dos. Ses cheveux noir ébène tirées en arrière lui tombent dans le cou. Seule une mèche entoure son visage. Son regard semble plus chaleureux que le premier. Le vert de ses yeux est d’une intensité rare, et ce même à la lueur des bougies. Un objet brille derrière lui et attire mon regard. Une lame ? Cet homme est armé d’une longue épée argentée. Un contraste incroyable. Une arme à feu aurait été moins surprenante.
Une voix grave et sourde brise soudain le silence des lieux. Elle prononce une incantation dans une langue étrange… de l’énochien peut-être. Toutes les bougies s’allument en même temps d’une lumière vive, presque brulante. Les symboles sur les murs s’illuminent à leur tour, telles des runes occultes. La porte devant se ferme brutalement, enfermant les deux hommes, et un silence pesant envahit la pièce.
Je sors précipitamment de la maison, franchis le portail de fer forgé et prends place derrière le volant de ma voiture. Mon corps entier tremble alors que mon cerveau tente vainement d’analyser ce que je viens de vivre. Plusieurs minutes s’écoulent sans que je sois capable du moindre mouvement.
Un cri de douleur retentit, et me sort de ma torpeur. J’aperçois alors les deux hommes sortir avant que la villa ne soit prise d’un incroyable frisson et ne s’effondre sur elle-même ensevelissant tous ses secrets.
– Qui fait le rapport cette fois-ci ? demande le premier homme, en passant devant ma voiture.
– Je vais le faire. Je connais ta passion pour la paperasse !
– Ok, mais avant on va se boire une bonne bière. On l’a bien méritée !