La terrible histoire de Laura
Le corps sans vie de Laura reposait délicatement sur les draps de soie rouge de son lit. Elle était habillée d’une somptueuse robe noire… un sourire étrange posé sur ses lèvres pâles. Ses yeux ouverts me fixaient, mais toute étincelle avait disparu de son regard froid… vide.
***
Racontez-moi depuis le début mademoiselle s’il vous plaît. Que faisiez-vous dans cette maison ? me demanda l’inspecteur.
Les examens de fin d’année… commençais-je encore sous le choc de la découverte macabre. Un véritable supplice… Heureusement, avec Laura, nous avions notre petit rituel : un week-end entre amis dans sa demeure familiale. Nous profitions des lieux comme dans un palace avec sauna, spa et hammam privatifs…
Vous étiez seuls ? Ses parents sont en voyage, c’est bien ça ?
Ses parents ? Je crois que je ne les ai jamais rencontrés. D’après ce que je sais, ils n’étaient pas souvent présents.
Vraiment ? et quelle était sa relation avec ses parents ?
Inexistante. Laura a été élevée seule dans cette prison dorée par sa nourrice, madame Rose.. jusqu’à l’âge de 18 ans… avant la fac, elle ne connaissait personne d’autre que ses domestiques et les différents précepteurs qu’elle a vu défilé au cours de toutes ces années.
Depuis combien de temps connaissiez-vous la victime ?
La victime… pourquoi ne pas l’appeler par son prénom ? pourquoi la déshumaniser ainsi ?
J’ai fait sa connaissance le jour de la rentrée à la fac de sciences, il y a de cela cinq ans, finis-je par répondre devant l’impatience de l’homme face à moi. C’était une fille magnifique pleine d’assurance… de quoi s’attirer les foudres de n’importe quelle femme et les faveurs de tous les hommes ! Pour je ne sais quelle raison, elle s’est approchée de moi et m’a envoyé un « bonjour » enjoué. Depuis cet instant, nous étions inséparables !
Et les autres ?
Quoi les autres ?
Les autres amis qui étaient avec vous, vous les connaissez depuis longtemps ? quelle était leur relation avec la victime ?
Laura… elle s’appelait Laura, crachai-je en colère.
Oui, je vous prie de m’excuser…
Le visage de l’inspecteur se fit plus doux. Il s’assit devant moi et me servit un verre d’eau.
Quand êtes-vous arrivés ici ?
Vendredi dans la soirée… vers 20h. Avec Laura, nous avons pris la route tout de suite après notre dernier examen. Jane, Aïden, Fleur et Cohnor nous ont rejointes plus tard… Nous étions dans la piscine et la nuit était déjà tombée. Cela devait être vers 22h30.
Et comment était Laura à ce moment-là ?
Fatiguée, mais nous l’étions tous. Cette semaine est la plus difficile de l’année…
Vous n’avez rien remarqué d’étrange ? elle ne vous paraissait pas préoccupée ?
Non… commençai-je.
Si bien sûr qu’elle était préoccupée ! Elle s’était disputée avec Cohnor avant les examens, et ils ne s’étaient pas reparlé depuis ! Elle ne savait pas comment se comporter avec lui.
L’inspecteur me regardait fixement, comme s’il pouvait lire dans mes pensées et prononça d’une voix sévère :
Inutile de me mentir mademoiselle Green, je finirai par savoir ce que vous essayer de me cacher tôt ou tard.
Les yeux embués et les mains crispées, j’inspirai fort. L’eau de Cologne du policier face à moi m’agressa les poumons, mais la douleur me ramena à la réalité et je lui répondis :
Excusez-moi, je ne cherche pas à vous cacher des choses… j’ai besoin de temps pour comprendre ce qu’il s’est passé et faire le tri dans mes souvenirs… Je n’ai pas envie d’accuser mes amis dans la confusion…
C’est tout à votre honneur, mais c’est également mon travail de faire le tri dans les différentes versions des témoins et suspects et d’en tirer les conclusions les plus justes. Alors, je vous en prie, racontez-moi.
Très bien… Laura avait une relation étrange avec Cohnor. C’était du genre « je t’aime moi non plus… ». Il était jaloux de notre amitié fusionnelle, et même si elle a refusé de m’en parler, je sais que c’était encore pour cette raison qu’ils s’étaient disputés il y a un peu plus d’une semaine.
Vraiment ? alors pourquoi l’avoir invité ce week-end ?
Je ne sais pas… j’ai arrêté d’essayer de comprendre leur relation vous savez. Il était impossible de la raisonner… mais c’était toujours la même chose : après chaque rendez-vous, elle revenait dans notre chambre étudiante en pleurant.
En pleurant ?
Oui, elle refusait à chaque fois de me dire ce qu’il s’était passé… mais… je ne sais pas si je dois le dire…
Dire quoi ? Cohnor était violent c’est ça ?
Je n’en suis pas certaine… c’est juste qu’un soir, elle est revenue avec une trace étrange sur le poignet… mais elle est restée muette. Je n’ai jamais su, malgré mes nombreuses tentatives. C’était la seule fois, mais il est vrai que je me faisais du souci de la savoir seule avec lui après ce soir-là…
Très bien. Merci pour ces informations, elles me seront précieuses pour le reste de mon enquête, me dit l’inspecteur.
Vous ne pensez tout de même pas que Cohnor aurait pu la tuer ?
A ce stade, je ne peux encore me prononcer. Mais il fait parti de la liste des suspects, comme vous tous, me confia le policier.
Je ne réagis pas à cette dernière révélation. Il s’attendait peut-être à ce que je m’insurge ou que je fonde en larmes, mais il était hors de question que je lui fasse ce plaisir. Je ne suis pas une gamine que l’on peut manipuler aussi facilement !
Et les autres ? Quelle était leur relation avec Laura ?
Laura était amie avec Jane et Fleur depuis presque cinq ans également…
Laura seulement ? Jane et Fleur ne sont pas vos amies ?
Si bien sûr, mais il ne s’agit pas de moi, non ? vous m’avez demandé quelle était leur relation avec Laura, pas avec moi Inspecteur, lui répondis-je avec autant d’aplomb que possible.
Très bien, continuez.
Donc, Jane, Fleur, Laura et moi-même sommes amis depuis le début de nos études. Nous étions dans la même classe en première année, ce qui nous a fortement rapprochées. Fleur et Jane résident dans la chambre voisine et nous passions souvent nos soirées ensemble.
Jane et Fleur forment un couple n’est-ce pas ?
Oui… c’est vrai. Comment l’avez-vous su ? demandai-je surprise, il ne me semblait pas en avoir fait mention jusque-là.
C’est mon métier, dit l’inspecteur en souriant. Un geste, un regard, un sourire… il suffit d’observer et très souvent on en apprend plus qu’en échangeant comme nous le faisons actuellement mademoiselle Green.
Vraiment ? Et qu’avez-vous compris sur moi ? demandai-je avec méfiance.
Que vous aimiez beaucoup Laura, comme une sœur ou peut-être plus. Mais également que vous entretenez une relation avec Aïden. Je me trompe ?
Non, vous avez parfaitement raison inspecteur. Laura était ma sœur, ma meilleure amie et mon âme sœur… Quant à Aïden, effectivement nous sommes ensemble… depuis presque deux ans maintenant.
Revenons à Jane et Fleur si vous le voulez bien. Nous parlerons d’Aïden plus tard.
Très bien. Que voulez-vous savoir ?
Jane semble plus affectée par la mort de Laura, pourquoi ?
Jane et Laura étaient proches… plus que Fleur et Laura… bredouillai-je.
Vraiment ? de quoi rendre Fleur jalouse ?
Que voulez-vous insinuer ? que Jane et Laura auraient pu avoir une liaison ?
Cet interrogatoire commençait sérieusement à m’énerver. Avec ces grands airs, cet inspecteur dénigrait mes amis en les suspectant des pires atrocités et maintenant il venait bafouer la mémoire de Laura. Elle avait des valeurs, des principes… elle n’aurait jamais trompé la personne qu’elle aimait !
Je n’insinue rien, je pose simplement des questions, dit-il calmement. Je vous demande d’y répondre : est-ce que Jane et Laura aurait pu avoir une liaison ? après tout si ça n’allait pas avec Cohnor, Laura aurait très bien trouvé refuge dans les bras de quelqu’un d’autre non ?
Non, Laura n’aurait jamais fait ça à Fleur. Elles étaient amies…
Peut-être que Laura n’a rien fait, mais Jane … ?
Quoi ? Vous pensez que Jane aurait pu avoir des sentiments pour Laura ? Que voulez-vous que je vous dise ? Que Jane était amoureuse de Laura et que Fleur ne l’a pas supporté et l’a tué ? c’est complétement fou !
Pourquoi ? Vous l’avez dit vous-même, je cite : « C’était une fille magnifique pleine d’assurance… de quoi s’attirer les foudres de n’importe quelle femme et les faveurs de tous les hommes ! »
Ne sortez pas mes phrases de leur contexte ! je n’ai jamais dit cela pour accuser qui que ce soit ! et surtout pas mes amis ! Jane et Laura s’entendaient bien parce qu’elles avaient pleins de choses en commun. Comme faire les boutiques ensemble pour dénicher les pièces uniques et plaire à l’élu de leur cœur… et bien sûr je parle de Fleur et Cohnor. Elles étaient complices mais certainement pas amantes ! Dans votre délire, Aïden et moi sommes autant suspects que les autres alors ! C’est vrai, nous étions si proches que vous allez m’accuser de l’avoir tuée pour avoir été avec Cohnor ou Jane, comme vous allez accuser Aïden de vouloir sa mort à cause de notre amitié ? Je me trompe ?
Calmez-vous, je ne cherche que des réponses… rien d’autre. Vous n’êtes pas curieuse de savoir qui a pu faire une chose pareille à votre amie ?
Bien sûr que si, mais vous ne croyez pas que je souffre assez de l’avoir perdue ? Non ? Vous faites tout pour que je me méfie de mes amis et que l’on se déchire en balançant des atrocités les uns sur les autres ! dans ce cas-là vous pouvez ajouter à la liste de vos suspects madame Rose, qui étrangement a disparu juste après la découverte du corps de Laura. Ce n’est pas louche comme comportement ça ?
Nous avons découvert le corps de madame Rose dans le jardin, non loin de la lisière de la forêt… Une crise cardiaque d’après les premiers résultats du médecin légiste. Mais vous avez raison, elle n’en reste pas moins suspect. Ce qu’elle faisait là-bas est encore un mystère.
Vraiment ? c’est terrible…
Je connaissais bien madame Rose, elle était la mère que Laura n’a jamais eue… c’est la seule personne de sa famille qu’elle m’avait présentée puisque la seule réellement présente pour elle. Probablement le chagrin…
Mais la cause de la mort me fait penser à un crime calculé… loin d’un simple accès de colère.
La cause de la mort ? Vous savez comment elle est morte ? a-t-elle souffert ?
Oui, il semblerait qu’elle ait été empoisonnée. Le médecin légiste attend les résultats d’analyses pour nous confirmer tout ça.
Empoisonnée ? quelle horreur…
Je m’enfonçais dans ma chaise… Je me sentais de plus en plus mal.
Mais alors je le suis peut-être aussi… J’ai bu plusieurs fois dans son verre ce week-end… Je vais mourir aussi ?
Non, je ne pense pas, me rassura l’inspecteur. Le tueur a dû faire très attention… peut-être dans sa nourriture ou dans un de ses produits cosmétiques.
Dring… dring…
Inspecteur Drax à l’appareil… Très bien… vous êtes sûr docteur ? pourtant vos premières impressions… oui je comprends… aucun poison… de quoi était-elle morte alors ? … Très bien… Merci docteur.
L’inspecteur, le visage sombre comme s’il venait d’apprendre une mauvaise nouvelle, se tourna vers moi, et me dit :
Il semblerait que notre médecin légiste est fait une erreur en concluant que le décès de votre amie n’était pas d’origine naturelle. Il n’y a aucune trace de poison dans l’organisme de Laura.
De quoi était-elle morte ?
D’une insuffisance rénale associée à une hépatite. Vous n’aviez remarqué aucun symptôme ? Fatigue ? perte de l’appétit ?
Non… rien… je… je suis désolée… j’aurai dû m’en apercevoir…
Pas forcément, comme vous l’avez dit tout à l’heure, vous étiez en période d’examens. Ce sont des symptômes classiques pour des étudiants… dit l’inspecteur avec douceur étrange dans sa voix.
Il me tendit un mouchoir pour essuyer mes larmes… des larmes de chagrin pour lui… mais au fond de moi, il s’agissait de larmes de soulagement. L’interrogatoire avait duré deux heures peut-être plus… J’étais passée par tant d’émotions différentes… d’abord le déni : malgré cette vision du corps sans vie de Laura allongée sur ses draps de soie gravée dans ma mémoire, je n’arrivai pas à réaliser que c’était terminé. La colère contre cet inspecteur… la tristesse… la peur… mais maintenant je me sentais étrangement sereine, car il y a une chose que tout le monde ignorait : notre amour… nous étions ensemble depuis notre première rencontre. Seule madame Rose le savait. Mais la pauvre était morte après la tragique nouvelle… Simple coïncidence ? Je vous laisse en juger. Mais c’est une véritable chance pour moi n’est-ce pas ?! mon secret est désormais bien gardé. Jamais ils ne sauront que Laura avait décidé de me quitter pour cet idiot de Cohnor… lui qui au début n’était qu’une simple couverture… jamais ils ne découvriront qu’elle était condamnée depuis cette soirée, au moment même où elle a dégusté avec gourmandise cette omelette aux champignons sauvages que j’avais moi-même cueillis… jamais ils ne comprendront qu’elle n’avait pas le droit de m’abandonner après tous les sacrifices que j’avais fait pour elle…
Détendue, je m’apprêtai à quitter la salle d’interrogatoire lorsque le téléphone de l’inspecteur vibra. Un message probablement…
Mademoiselle Green, une dernière question.
Oui inspecteur, répondis-je en me retournant.
Pourquoi avoir fait des recherches sur les poisons mortels ?
Des recherches… pour… pour un devoir de sciences.
C’est étrange comme coïncidence vous ne trouvez pas ? dit le policier.
Quelle coïncidence ? je croyais que c’était une mort naturelle… bredouillai-je.
J’ai dit ça ? vraiment ? ce devait être une erreur… Mademoiselle Green je vous arrête pour les meurtres de Laura Floy et Marie Rose. Vous avez bien sûr le droit à un avocat qui vous conseillera de garder le silence. Mais nous savons vous et moi que vous n’avez plus rien à dire. Comme je vous l’ai dit, mon métier c’est avant tout d’observer !
Texte de L.S.Martins
Image par Jody Davis de Pixabay